Malgré une devinette extra-facile (Ouais Ouais parce que j’ai carrément laissé le nom sur la photo) bravo à ceux qui ont participé !
Si je parle de lui c’est parce la station de métro la plus proche de mon appartement, celle que je prends à chaque fois que je vais en ville, est décorée d’immenses portraits de mineurs en noir et blanc.
Un jour en janvier j’ai trouvé une note écrite à la main et collée au mur qui disait « Milton tu vas nous manquer ». Forcément, ça m’a intrigué.
De fil en aiguille j’ai découvert Milton Rogovin, sa biographie, l’équipe qu’il formait avec Anne, sa femme, la philosophie et les valeurs qui se cachaient derrière les portraits, et tout cela combiné m’a réellement donné une nouvelle image de Buffalo.
Pour une fois je voyais l’art autour de moi et pas seulement dans des musées, les gens avec qui je partageais les transports et les rues de Buffalo sont ceux que Milton et Anne Rogovin photographiaient chaque jour.
Milton Rogovin est un « photographe social » qui a commencé à photographier les « oubliés » de Buffalo en 1959. Avant cela, il possédait un cabinet d’optométrie avec son frère dans le centre de Buffalo, mais en 1957, en pleine fièvre Maccarthiste, il est convoqué devant la « House Un-American Activities Commitee » et déclaré le « Rouge le plus dangereux de Buffalo »
Suite à cela, il décide d’utiliser la photographie, qu’il pratiquait déjà en amateur, comme moyen de communiquer ses valeurs de justice et d’égalité. N’ayant jamais étudié la photographie, il met quelques années et beaucoup de travail et de rencontres pour améliorer l’aspect technique de ses images.
Sa première série de photos s’appelle « Storefront churches ». A l’époque, ce sont des églises souvent sans le sou et installées dans des anciennes boutiques d’épicier, de barbier ou dans des cinémas. Les photos de Milton montrent toute l’intensité des rituels et des prêches, parfois des transes. A l’époque, personnes ne photographie les quartiers pauvres de Buffalo, et encore moins ce qu’il se passe dans les communautés religieuses.
Après le succès rencontré par cette première série, Milton et sa femme Anne n’arrêtent plus de voyager et de multiplier les expériences, avec toujours le même souci du détail et la volonté d’établir un lien fort avec les sujets photographiés.
Grâce à des aides financières ils iront photographier des communautés de mineurs au Mexique, en Chine, à Cuba, au Chili, en Espagne, en Tchécoslovaquie, en Allemagne, et au Zimbabwe.
Ce qui fait la différence dans le travail des Rogovin c’est le fait qu’ils essaient toujours de photographier les mineurs sur leur lieu de travail, puis chez eux. Et c’est là que l’on peut « communiquer » avec les photos, car les deux facettes des mineurs débutent leur histoire, souvent simple et honnête, pour le spectateur.
Aux USA ils photographient les mineurs et les Indiens, et débutent la série sur les quartiers déshérités de Buffalo en 1972, appelée « Lower East Side » A chaque fois, ils forment un duo atypique qui revient donner un exemplaire de chaque photo aux sujets, et ne leur demande jamais de prendre une pose, simplement de regarder l’objectif.
La série sera suivie de 3 autres, « Lower East Side Revisited » en 1984-1986, « Lower East Side Tryptic » en 1992, et « Lower East Side Quartet » en 1998. (Milton et Anne Rogovin avaient alors 89 et 80ans !)
Cette série est publiée dans un livre magnifique que j’ai pu emprunter à la bibliothèque de Canisius, et retrace la vie d’individus à Buffalo à travers trois décennies. J’aime autant la qualité esthétique de certains clichés, que les cadres et les histoires « banales » qu’ils offrent. Particulièrement pour les photos prises dans les mines et les usines, on a l’impression de sentir les textures de métal, de tissu et de sueur et les odeurs de fonte.
Des entretiens, pudiques et donc souvent très émouvants complètent les photos. C’est finalement le temps qui passe avec les familles qui s’agrandissent et qui rétrécissent, le manque d’argent qui entraine les problèmes si triviaux et pourtant si dévastateurs d’alcool, de drogue et de prison, les peines de cœur et les amours qui durent.
Et au milieu de la routine, l’impact que ces photos ont eu sur leurs sujets est aussi très touchant. Pour Milton « Les riches ont leurs photographes, je photographie les oubliés », et bien souvent, le simple fait d’être jugés dignes d’une photographie était suffisant aux yeux des oubliés de Buffalo pour qu’ils attendent la prochaine avec impatience, ou qu’ils aient un déclic et changent de style de vie.
C’est pour moi ce en quoi ces photos ont un intérêt; Ces photos en noir et blanc qui déclenchent des sentiments si vifs dénichent la beauté au milieu de la routine, au milieu de la pauvreté, là où on ne l’attend plus car on ne la cherche plus en y vivant chaque jour.
Anne Rogovin est décédée le 7 juillet 2003 et Milton le 18 Janvier 2011, à l’âge de 101 ans. J’ai non seulement aimé découvrir les photos des Rogovin, mais aussi lire les récits incroyables de leur vie remplie d’humanisme et de simplicité.
(Leur site web, crée et géré par la famille, est très bien fait)
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